une maison blanche avec une tour sur le côté

Publié le par Sarah

Elle s’érige fièrement à quelques pas de l’endroit où Céline avait établi ses quartiers.
Elle prône au milieu de cette route que les gardes empruntaient pour se rendre de Paris à Versailles, avec sa tour sur le côté, tel un château qui cherche à exposer ses plus beaux atouts.

Elle est belle de l’extérieur.
Mais c’est à l’intérieur qu’elle vit.

Il faut d’abord pousser la grille toute grise, lourde en été, légère en hiver et marcher sur les gravillons qui s’entrechoquent. Ce bruit me fait penser à la maison de campagne, plus loin, qui elle, rappelle bien d’autres souvenirs.
Et puis il faut gravir les quelques marches, doucement, parce qu’elles se font vieilles. Elles ont vu trop de pieds passer, elles craquent un peu et quand il pleut, elles sont trop fatiguées pour faire attention à ne pas vous faire glisser.

J’ai pris l’habitude en insérant la clé dans la serrure de jeter un coup d’œil à la fenêtre du garage, pouvant ainsi voir si la voiture était là. Quand j’étais adolescente, c’était un moyen pour moi de savoir avant même d’être entrée si mon père était là.
Aujourd’hui, je continue de tourner la tête alors qu’un tableau peint par sœur, qui dort là en attendant son déménagement, cache la vue.

J’aime tout dans cette maison.
Quand on entre, un miroir.
Depuis la rue, on a l’impression d’entrer dehors quand la porte est ouverte.
Souvent, quand je suis sur le trottoir aujourd’hui, en route pour chez moi, et que ma mère est encore dans l’encolure de la porte, j’aperçois derrière elle un bout d’arbre, qui est en fait juste devant moi.
Ce n’est pas fait exprès mais j’aime tant cette idée, entrer dans une maison pour arriver dans le jardin.

D’ailleurs, même s’il faut traverser le salon, sa cheminée, le souvenir des airs chantés, la véranda sous laquelle se trouve les milliers de dîners et déjeuners en famille, ceux des anniversaires, de Noël, ceux où on a ri, ceux où on a pleuré, ceux où on a crié, ceux durant lesquels on s’est échangé des blagues et des secrets, le jardin reste l’endroit le plus poétique de cette maison.

Il est unique parce qu’il n’est pas plat.
Pour se rendre au fond du jardin, il faut monter. Depuis la nuit des temps se trouvent une petite allée formée de quelques dalles enfouies sous terre pendant très longtemps, que ma mère avait déterrées il y a seulement quelques années et qu’elle s’était amusée à appeler « la voie romaine ».

Et tout haut, la terrasse. Terrasse que j’ai vu se construire. Terrasse cachée entre les arbres l’été, terrasse où on a pris des apéritifs lors des doux soirs du mois de juillet, terrasse où l’on a fait quelques pic-nics, terrasse qui cache l’arbre où je m’amusais à imaginer une cabane quand j’étais enfant.
Le mur a failli s’écrouler.
Et en hiver, quand tous les arbres sont nus, la Terrasse offre un Paris d’aplomb. Ce n’est pas la plus belle vue de Paris. Mais c’est la plus simple. La tour Eiffel, le dôme des Invalides, si on se penche un peu, la tour Montparnasse, les quais, les ponts, des toits du XVè et du XVIè arrondissement.
La Terrasse, un endroit idéal pour les feux d’artifice du 14 juillet si les feuilles des arbres n’étaient pas au premier rang, volant ainsi la vedette.

Et puis il y a sa petite sœur.
La première née, la petite, au dessus du toit de la cuisine, accédant directement à la salle de bain, orientée plein sud.
La petite où l’on va boire le café après le repas, où l’on fume une cigarette, où l’on discute, où j’aime m’installer à lire au soleil. La petite plein sud où on ne peut pas rester plus de 10 minutes en été tellement le soleil tape fort.

J’aime particulièrement ce jardin car on y sent l’amour de ma mère pour ses fleurs et son herbe verte, mais surtout parce que c’est un des rares endroits qui n’a pas changé depuis mon départ.

Lorsque je veux me servir un verre d’eau dans la cuisine, je me rends compte que les verres n’ont plus la même forme.
Lorsque j’ouvre le frigo pour prendre un jus de fruit, je réalise que le frigo est à la place du congélateur et le congélateur à la place du frigo.
Lorsque j’ouvre les placards pour me faire un petit goûter, il n’y a plus ces paquets de biscuits qui se battaient pour la place quand nous étions encore tous les quatre en âge de goûter…

Je m’installe confortablement dans le salon pour regarder un peu la télé, juste pour le son des voix anglaises, les seules que nous avions le droit de regarder les soirs d’école, pour ainsi devenir bilingue plus tard.
Le pied du canapé est cassé et la télé s’éteint et se rallume toute seule.

La maison vieillit. La maison se sent seule je crois, avec tous les enfants partis, ou presque. Et je le sens.

Je suis bien là, chez moi…

Il y a cet homme, le miroir que j’ai vu toute ma vie. Ma mère pense que c’est une femme. Pour moi, c’est un homme. C’est un miroir que j’ai vu toute ma vie et que je tiens à voir toute ma vie.
J’esquisse toujours un sourire, comme si je me devais de tirer la révérence à cet homme qui m’a vu grandir, devant lequel j’ai dansé comme une folle quand personne d’autre n’était là pour regarder, celui qui a su rendre les chats étonnés d’avoir un chat en face d’eux.

Je ne vais pas faire le tour de toutes les pièces de la maison, même si elles ont toutes un souvenir particulier à m’offrir.

Ce que je veux, surtout, là, alors que je suis seule sous un ciel bleu et un soleil éclatant en pleine journée, c’est me retrouver dans ma chambre.

Je sais qu’elle n’a plus rien de mes années d’adolescente, mais dès que je pousse la porte, cette odeur m’envahit.
Une odeur de chaleur, une odeur de vieux livres.
Une odeur d’été, de sueur parce qu’on est juste sous les toits et que l’on suffoque.

Ma chambre est la dernière, au fond du couloir, la plus grande parce que ce n’était pas ma chambre mais notre chambre.
Il n’y a plus rien des affaires de ma sœur jumelle.
Il reste mon bureau et mon lit.
Et toutes les affaires de ma sœur artiste qui déménage sous peu. Il y a son bureau, il y a ses tableaux, il y a ses cartons ouverts un peu partout. Il y a toutes ses affaires en vrac sur mon lit d’enfant, il y a son ordinateur un peu poussiéreux sur mon bureau.

Je m’assois devant l’ordinateur et l’allume.
C’est un ordinateur mais j’ai l’impression en étant là d’ouvrir un vieux journal ayant appartenu à un ancêtre, et que je vais découvrir des trésors.
D’ailleurs, je ne peux m’empêcher d’ouvrir les tiroirs de mon bureau, même si je sais qu’il n’y a que quelques affaires appartenant à ma sœur.

Je soupire, levant la tête en direction de la fenêtre.
Le tableau n’a pas changé.
Un bout de ciel bleu, les fenêtres du bureau voisin, l’immeuble au fond, et quelques branches d’arbres.
Je me revois à tous les âges, rêvassant regardant par cette fenêtre au lieu d’étudier.

Je me lève, pour mieux admirer le paysage, le jardin surtout. Et je me souviens de mes moments d’adolescente où je cherchais à me réfugier seule, pendant que tout le monde regardait un film deux étages plus bas, assise sur le radiateur, les pieds sur mon bureau, un carnet sur mes genoux et un stylo à la main, cherchant l’inspiration quelque part derrière cette fenêtre.
J’y ai surtout vu une lune et les rires d’une soirée d’été.
Et puis quand le radiateur devenait inconfortable, je me laissais aller par terre, sous la fenêtre, dans un petit coin que j’avais pris soin de me créer, afin d’être le plus seule possible dans cette chambre que je partageais, me réfugiant déjà dans mes écrits.

Cette chambre est pleine de souvenir et j’ai envie de m’allonger par terre pour les laisser m’envahir.
Mais l’amas de cartons m’en empêche.
Je ne peux même pas m’allonger sur mon lit. Lit où V. m’embrassa la première fois, où j’ai fait l’amour avec lui la première fois, où on s’est dit qu’on s’aimait pour la première fois.
Ce lit où j’ai écrit et écrit et écrit.
Un lit d’enfants à tiroir pour ranger ses vêtements. Je les ouvre, persuadée qu’ils seront vides et je me rends compte que ma sœur a voulu faire de la place et y a mis des affaires à nous que nous n’avons pas prises avec nous.
Je découvre une boîte à secret que j’avais oublié, avec une lettre que j’ai écrit à mon baby sitter, dont j’étais amoureuse, parti en service militaire, avec un marque page orné de hiéroglyphes, avec une photo de classe d’enfants déguisés et avec des photos des powers rangers ! Tiens, j’aimais ça ?
Et puis lorsque j’ouvre les autres tiroirs, je les découvre pleins de livres que je n’avais pas pris la peine de prendre, soit parce qu’ils appartenaient à ma sœur jumelle, soit parce qu’ils me rappelaient les mauvais souvenirs d’école.
J’ai le soudain espoir de retrouver là le livre d’Héloïse que je cherche partout depuis mon déménagement… en vain.

Triste de ne pas avoir découvert le trésor qui me tenait le plus à cœur, je reste debout, les yeux fixés à la fenêtre qui donne sur la rue, sur Paris, sur le ciel.
Je m’en approche.
Le bas de la fenêtre m’arrive au niveau du front. Je me mets sur la pointe des pieds, je vois très nettement le toit de la maison d’en face et la tour Eiffel.
Pourtant, il y a tellement plus que ça à cette fenêtre.

J’attrape un tabouret et je me souviens de ces soirées passées, debout sur le lit de ma sœur, à scruter le vide, attendre les feux d’artifice, regarder la tour Eiffeil scintiller pendant 10 minutes, écouter la conversation des gens qui passaient par là, entendre le son du tram quelques mètres plus bas.

Je scrute le paysage, entièrement pollué mais je trouve assez facilement ce que je cherche : le concorde lafayette.
Je m’en souvenais plus grand que ça. Il est juste derrière la maison d’en face, tout petit, au loin. Ce n’est pas un monument le concorde lafayette, c’est mon monument le concorde lafayette.
Je suis loin là, mais je l’ai juste en face de moi et en même temps que tous les souvenirs que m’apportent cette chambre, le concorde lafayette au loin me laisse également un peu m’envoler vers quelques soirées volées.

Je descends de mon tabouret, retour à la réalité, les pieds à terre. Et à nouveau, j’ai envie de me laisser avaler par le sol de ma chambre, par cette moquette bleue que j’ai toujours détestée.
Mais la poussière m’en dissuade.

Je suis si bien ici. J’aimerais ne jamais en être partie. Ici, cette maison, cette chambre, cette vue et ce jardin, le son des souvenirs, c’est l’endroit où je me ressource. C’est l’endroit où je viens me consoler quand je suis triste, que mes parents soient là ou pas.
Et je ne peux m’empêcher de verser une larme quand je sais que demain, cette maison ne sera plus à leur nom. Je ne peux m’empêcher de verser une larme quand je sais que demain, je ne pourrai plus venir au milieu de la journée, humer l’air suffocant de ma chambre, respirer l’air ensoleillé du jardin, regarder clandestinement la télé, avaler un morceau de fromage dans la cuisine.

Mais je me console sachant que mon dernier souvenir dans cette chambre sera celui de quelques mots reçus dans une boîte aux lettres électronique. Quelques mots qui m’ont fait l’effet d’une douceur qui me parcoure tout le corps et me fait frissonner de plaisir.

Publié dans Souvenirs

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C
Bien beau! apreciable!
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S
Merci :-)
E
Je ne pars que demain ... A vrai dire, je crois que ce texte est parmi mes préférés ...Il y parle de maison , sujet auquel je suis sensible ( tu le sais?)et aussi de nostalgie et ça me plaît.Il décrit bien l'ambiance et ton état d'esprit.Merci.<br /> Bonne journée. Merci de tes souhaits. A bientôt.
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S
A vrai dire, c'est à la suite d'un de tes textes où tu fais vivre une maison que l'idée ce texte m'est venu. Et il me tient à coeur car j'y décris réellement la maison de mes parents...Merci à toi pour ce commentaire :-) Bonnes vacances !
E
Merci pour cette balade emprunte d'une chaude et paisible nostalgie. Ce que j'apprécie le plus dans ton écriture c'est ton optimisme et cette impression que malgré le cafard (la solitude ?) tout est possible.<br /> <br /> Céline, il habitait bien rue girardon ?<br /> <br /> Bises<br /> <br /> ;)
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S
Je t'en prie, c'est un vrai plaisir :-)Céline a peut être habiter rue girardon, mais ce n'est pas de cette rue dont je parlais ;-) Bises