Hommage à ma troisième grand-mère

Publié le par Sarah

HOMMAGE A MA TROISIEME GRAND MERE

Annette était une femme extraordinaire qui respirait la littérature sur un fond de Bach et dont les cheveux argentés rendaient jalouse ma Mamy.

Mamy et Annette étaient amies depuis des années et se sont toujours vous voyées. Elles ont quitté ce monde à 4 mois d’intervalle.
Annette a appris à Mamy à dire des gros mots.
Parce que Annette était simple.

Elle s’est baignée tout habillée dans le Lac Léman. Peu importe qu’elle n’ait pas emporté son maillot de bain, elle voulait goûter à l’eau du lac. Le soleil se soucierait bien de la sécher.

Elle se perdait sans cesse lorsqu’elle conduisait dans Paris. Mais elle faisait tous les ans le trajet Paris – Thollon-les-Mémises sans ne jamais se tromper.

Elle a passé une soirée à rire à gorge déployée avec Mamy sur le balcon de l’appartement à Thollon car elle ne trouvait pas la réponse « Platon » malgré les 20 indices de la carte de jeu. Même un simple banquet ne pu lui faire lire ce qu’il y avait sur le bout de sa langue.

Je dois un hommage à Annette parce qu’avec toute sa simplicité, toute sa générosité, malgré les cigarettes qu’elle a fumées pendant, presque, toute sa vie, et malgré ses vêtements que je trouvais affreux, Annette était ma troisième grand-mère.
Ma troisième grand-mère sans qui je n’aurai jamais écrit.
Annette, c’est grâce à toi si j’écris.
Et pour cette simple raison, je te dois hommage.

J’aimais tendrement Annette et ça m’a déchiré le cœur de devoir répondre « non » à la question « êtes-vous de la famille » à la cérémonie de son enterrement.
Pas de la famille, pas de place privilégiée.
Alors qu’elle a toujours eu une place privilégiée dans mon cœur.

Annette a toujours été là, avec ces 5 enfants. Je n’en ai jamais connu que quatre. Marion est décédée avant que je sois née. À quelques jours de la mort de Papy. C’est la perte d’être cher qui a rapprochés Mamy et Annette.
Annette a toujours eu ses 5 enfants mais jusqu’à très tard, pour moi, elle les avait eu par l’opération du saint esprit car aucun homme n’était jamais présent dans sa vie. Et dans mon esprit de petite fille, ça ne me posait aucun problème.
C’était presque normal. Mamy n’avait pas de mari, il était mort. Grand-mère non plus, ils étaient séparés.

Annette a eu une vie difficile je crois, entre la guerre et la mort Marion.
Et Annette a toujours ri et souri.
Avec Annette, on se marrait.

Mais si je dois tout à Annette aujourd’hui c’est grâce à son amour pour les livres.

Un jour, je lui ai demandé de me faire une liste des livres à lire. Elle a fait cette liste sur trois post-it que j’ai gardée pendant près de 10 ans, sans n’en lire aucun car ce n’était en réalité que des classiques.
Je me souviens seulement qu’il y avait « les Thibault » de Roger Martin du Gard. Je crois que je vais m’y essayer, juste pour pouvoir sentir un peu d’Annette entre les pages.

Quelques jours après le fou rire du balcon à Thollon, alors que j’avais 13 ans seulement, nous étions dans une petite librairie sur les bords du Lac Léman quand Annette m’a dit : « Tiens, toi qui aimes lire, tu devrais lire ça ».
Je n’ai pas réfléchi. Sans en être consciente, déjà à l’époque quand quelqu’un que je savais avoir un goût particulier pour les livres me conseillait, je lisais.

Elle m’a acheté ce petit livre de poche dont les pages sont aujourd’hui un peu cornées à force d’avoir été lu.

J’ai dû passer un jour ou deux dans la chambre de Thollon, à lire.
J’ai lu et voilà, j’ai eu envie d’écrire.

Grâce à Annette qui m’a fait découvrir Anne Frank.
Sans Annette, j’aurai probablement lu le journal d’Anne Frank, mais jamais dans ces conditions, jamais à cet âge-là, jamais à ce moment-là.
Un âge où l’on s’identifie au héros, surtout quand elle a le même âge.
Et puis il y avait le cadre.
À Thollon, la vue depuis l’appartement est… sublime, tout simplement. Pour moi, cette vue, c’est ma source d’inspiration à vie.
Une vue pleine de l’eau du Lac, eau de source, eau de vie.
Une vue pleine des montagnes helvétiques, source d’imagination d’aventures de gamins.
Une vue pleine de couchers de soleil, source de rêves et de romances.
Une vue pleine de souvenirs.

Cet appartement, Thollon, j’y suis allée enfant avec mes parents, adolescente avec mes grands-mères, et étudiante avec mes amis.

Et à chaque fois, la vue m’en a coupé le souffle.
À chaque fois, j’avais envie de rester là, planté sur le balcon, laissant le vent me nourrir et l’humidité apaiser ma soif, ignorant les autres autour de moi. Je voulais simplement rester là, sur le balcon.
Je voulais voir, ne pas rater une miette, me souvenir de chaque détail de cette peinture vivante pour pouvoir toujours la voir, simplement en fermant les yeux.

Au début, c’était facile. À 13 ans, j’étais persuadée que j’allais y revenir jusqu’à mes 18 ans, tous les étés. Ça avait fait rire Annette.

Et puis Annette est décédée des suites d’un cancer.
Et je ne fais pas partie de la famille. Je n’étais pas la seule à aimer cet appartement.
Je ne sais pas s’il fait encore partie de la famille d’Annette ou s’ils l’ont revendu.

Mais ils ne pourront jamais vendre mes souvenirs.
Entre les jeux d’Indix, de Yam et de jeux de cartes, entre les diverses lectures, entre les drôleries des petits-enfants d’Annette qui avaient entre 3 et 10 ans, je n’ai que de bons souvenirs sous cette vue tellement… magique.
Cette année-là, c’était une de premières fois que je revenais à Thollon.
C’est à 13 ans que j’ai découvert pour la première fois la vue, le bonheur du vent en haut de la montagne d’où la vue est d’autant plus impressionnante.
Ce n’était qu’une vue. Ça aurait pu être un tableau accroché sur un mur. Mais c’était vivant. Et selon l’humeur du ciel, c’était différent. Les couleurs n’étaient pas les mêmes, la température de l’air non plus, et mes yeux s’abreuvaient de tout ce qu’ils pouvaient voir de ce que je considère Beau.
En haut de la montagne, je voulais à la fois courir de bonheur et me laisser aller là, à rêver d’hommes et de belles lectures, restant à jamais à simplement regarder le lac et les montagnes suisses.

Annette trouvait que j’étais poète. Poète en herbe.
C’est probablement la seule fois de ma vie qu’on m’a qualifié ainsi. Et j’ai aimé ça. Particulièrement.

Et après avoir lu Anne Frank, je savais que moi aussi, je voulais écrire. Simplement pour pouvoir exprimer ce que je ressentais.
Ecrire était devenu ma manière à moi de peindre ce que j’avais sous les yeux.

Mais je ne l’ai jamais fait, persuadée que cette vue si particulière à mes yeux ne se déroberait jamais.

Quand j’ai compris que je n’y retournerai pas tous les ans, j’ai pris des photos.
Quand je les regarde aujourd’hui, j’ai envie de les jeter car elles n’ont rien à voir à ce que je vois quand je ferme les yeux. Et quand je les regarde aujourd’hui, je ne ressens rien de ce que j’ai pu ressentir sur ce balcon, et sur cette montagne.

Moi, si j’avais pu enterrer Annette, je l’aurai enterrée à Thollon, avec Bach qui ne cesserait de jouer sa musique qu’elle aimait tant, et avec une tonne de livres pour qu’elle n’ait jamais à relire le même livre pour l’éternité.
Je l’aurai enterré de manière à ce qu’elle puisse voir ce qui a donné vie à ma plume.
Et je l’aurai enterrée avec Mamy. Même si Mamy voulait Papy et que Annette voulait Marion. Parce que pour moi, Mamy et Annette sont mes grands-mères.
Et même si Annette n'est pas ma grand-mère de sang, c'est ma troisième grand-mère.
Et pour les faire vivre à nouveau, je devrais les écrire. Les écrire telles que je les ai connues, prêtes toutes les deux à entrer entièrement vêtue dans une piscine, faisant ainsi rire leurs petits-enfants.

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Publié dans Souvenirs

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M
C'est un très beau texte à conserver précieusement comme tes souvenirs
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S
Merci...