Le temps d'un regard

Publié le par Sarah

Je l’ai revu samedi dernier pour une soirée de retrouvailles.

Je savais qu’il serait là mais ça ne me faisait ni chaud ni froid.
Ça me faisait autant plaisir que de voir tous les autres, simplement.

Pourtant, quand je l’ai vu arrivé dans le bar, toujours habillé de la même façon que lorsque nous étions à l’école, une jolie hollandaise à ses côtés, je n’ai pu m’empêcher de revivre cet instant magique.

Un instant qui a duré une seconde, un week-end, pas plus.
Un instant oublié, un instant qui me fait vibrer encore aujourd’hui.

On s’est rencontré sur le quai du métro de la ligne 13, à la station Invalides.
C’était au début du mois d’octobre, le premier jour de cours.
Nous avons commencé à faire connaissance jusqu’à ce qu’on arrive dans l’enceinte de notre nouvelle école.
Arrivés dans la salle de classe où ni lui ni moi ne connaissions qui que ce soit, nous nous sommes naturellement installés à côté.
Et pour la pause de midi, nous sommes naturellement allé manger un sandwich dans le parc d’à côté.

Et puis nous ne nous sommes jamais quittés.
On rentrait ensemble tous les soirs car en métro, puis en RER, mais on ne se voyait jamais en dehors des cours.
Il m’appelait souvent le dimanche à 19h pour savoir quels devoirs ou travaux nous avions à faire pour le lendemain.

Renaud et moi nous étions quoi, camarade de classe, camarade de RER peut-être ? Je ne sais pas.
On était tout le temps assis à côté, on s’entendait bien, je l’aimais beaucoup et ça s’arrêtait là.
J’avais quelqu’un dans ma vie et il l’a su dès le premier jour.

Seulement le mois de mai m’a amené ce moment que j’avais oublié jusqu’à samedi dernier.

C’était un vendredi soir, pour notre dernier cours de la semaine.
Nous avions cours avec ce professeur qui aimait beaucoup nous faire faire des travaux de groupe, afin de nous préparer comme il le fallait à « l’esprit d’équipe. »

Renaud et moi nous sommes donc installés dos au professeur, afin d’être mieux placé pour faire notre devoir à quatre.
Nous étions au fond de la classe.
Il faisait beau.
Les examens approchaient mais étaient encore suffisamment loin pour qu’on soit tous de bonne humeur.
À la fin de l’exercice, le professeur a pris la parole.
Renaud était assis à ma gauche. Afin d’écouter le professeur, nous étions tous les deux à moitié tourné sur nos chaises respectives.

Et au moment où nous avons tous les deux tourné nos regards dans la direction de notre professeur, quelque chose s’est passé.

Mon regard a croisé le sien.
Son regard a croisé le mien.
Nos regards se sont arrêtés l’un dans l’autre.

J’ai tout d’un coup senti quelque chose en moi. Comme de l’électricité. J’avais chaud. Je vivais l’instant intensément en comprenant qu’il y avait quelque chose de différent.
Ça n’a duré que quelques secondes, quelques secondes en une année où nos yeux se sont parlé.
C’était comme un éclair…
Il n’y a même pas eu de sourire échangés.
Juste ce regard…

Après cela, j’étais incapable de porter mon attention sur le cours.
Nous avions repris nos places normales, côte à côte.
Je sentais son genou contre le mien, son coude contre le mien.
C’était très léger. Sans ce regard, je crois que je ne m’en serai même pas rendue compte.
Mais là, le moindre geste avait tout d’un coup une valeur autre.

Et j’étais sûre que ce n’était pas qu’une illusion.
Personne ne m’a jamais regardé aussi électriquement en simplement quelques secondes. Je n’ai jamais échangé un tel regard, une telle électricité en plongeant mes yeux dans ceux d’un homme à part pendant ces quelques secondes.

Il était 16h.
La semaine était finie.
Direction le métro, ligne 13. Comme à notre habitude Renaud et moi sommes descendus à Invalides pour prendre le RER C.

Déjà dans le métro, j’étais assise contre lui.
Pas à côté de lui.
Contre lui.

Et puis nous savions déjà à ce stade de l’année à quelle heure passait les différents RER. On était tous les deux conscients qu’à cette heure-là, le train de 16h24 allait chez lui mais pas chez moi.
Alors que celui de 16h32 desservait les 2 gares.
Il en a parlé pendant tout le trajet de métro.

La correspondance entre le métro et le RER à la station des Invalides est assez longue.
J’ai toujours vu Renaud se dépêcher pour être sûr d’attraper son RER.

Ce jour-là, dans les escalators, il est resté sans bouger, laissant le mécanisme de cet escalier le diriger un peu plus près du RER.
Ce jour-là, sur le tapis roulant, il allait se laisser transporter encore plus près du RER sans bouger…

« Fait-il exprès de ralentir la cadence pour rater son train et prendre le même train que moi ? pour ainsi passer plus de temps avec moi ? pour ainsi retarder le moment de se quitter ? parce que comme moi il a envie que ce regard d’une seconde s’éternise le plus longtemps possible ?»

Mais malgré toute l’électricité qui ne s’éteint pas encore éteinte, je n’ai pas laissé le tapis roulant me transporter mais j’ai accéléré le pas.
Alors il m’a suivi.

Nous sommes arrivés sur le quai à 16h22.
J’étais déçue.
Très déçue.
Je savais qu’il allait monter dans le train de 16h24 que je ne pouvais pas prendre.

Il n’arrêtait pas d’y faire allusion.

Tu veux pas attendre le prochain avec moi ?
Des mots qui me brûlaient les lèvres.
Des mots qui me brûlent encore les lèvres quand j’y repense car je ne les ai jamais prononcés.

Le RER est arrivé.
Et là, Renaud m’a fait la bise.

Depuis le mois d’octobre, à force de se voir tous les jours, on ne se faisait plus jamais la bise.

Alors deux baisers furtifs qui n’en étaient même pas, comme ça, au milieu de nul part, après ce regard électrique m’ont fait tout simplement chavirer.
Je l’ai laissé monter dans le RER, le suivant des yeux, pour voir si peut-être il allait se retourner…
Il ne s’est pas retourné et je me suis laissée tomber sur le banc qu’il y avait juste à côté de moi.

J’ai quelqu’un quand même ? qu’est ce qu’il se passe ? Ça fait 8 mois qu’on est potes et qu’il ne s’est jamais rien passe, qu’il n’y a jamais eu aucune ambiguïté…

Et puis c’était le week-end…
Je ne le reverrai pas avant le lundi suivant.

J’ai passé le week-end à espérer qu’il m’appelle.
J’ai passé le week-end à essayer de trouver une excuse pour l’appeler.

Je me suis retrouvée lundi matin sur le quai de la ligne 13 à Invalides, sans avoir eut le courage de prendre mon téléphone, repensant sans cesse à ce simple regard…
J’étais au fond du quai, et je regardais les gens descendre les escaliers de l’autre côté du quai.
Je ne voyais rien car je n’avais pas mes lunettes.

Mais j’ai reconnu sa démarche tout de suite.
Ça doit faire 6 mois qu’on ne s’est pas retrouvé le matin. J’arrive toujours en avance, il arrive toujours à la dernière minute…
Il sait que j’arrive toujours en avance. Qu’est ce qu’il fait là ? A-t-il fait exprès d’être là plus tôt pour me voir ?
Ce regard peut-il vraiment avoir eut un effet encore présent deux jours plus tard ?
Est-ce que je ne suis pas en train de vivre dans un conte de fée là ? un film ? Un roman d’amour ?

Sans avoir le temps de trouver des réponses à ces questions qui n’en avaient probablement pas, Renaud est devant moi et me fait la bise en guise de bonjour.
On monte dans la rame de métro, heureusement vide à cette heure-là (ça aurait peut-être été mieux si la rame avait été bondée, j’aurai pu me coller à lui…).
Nous nous sommes assis côte à côte.
Je ne sais pas ce que je lui disais mais tout d’un coup, j’ai vu tout son corps se figer, son visage en face du mien, sa main s’approcher de mon visage et me dire « tu as un cheveu, là ».
Il m’a alors délicatement enlever ce cheveu.

J’ai senti la même chose dans ses gestes et son attitude que le vendredi passé.

Que se serait-il passé si à la station d’après une personne de notre classe n’était pas montée, ne nous avait pas vu, et ne s’était pas assise avec nous ?

Il est resté ainsi, son visage en face du mien. Il avait dégagé mes cheveux de mon visage, délicatement.
Mon cœur battait, je sentais ses doigts à seulement quelques millimètres de ma peau. C’était une caresse délicate, tendre, gênée même.
Il n’osait pas.
Je le regardais mais lui avait les yeux tournés vers mes lèvres, je crois.
Je sentis alors ses doigts sur ma joue.
Je vis son regard plonger dans le mien, à nouveau, comme vendredi dernier. Et je sentis ses lèvres s’approcher de plus en plus près des miennes.
Je ne faisais rien.
Je ne faisais que sentir mon cœur battre.
J’en oubliais que j’avais déjà quelqu’un dans ma vie.
J’accueillis ses lèvres avec plaisir, avec tendresse, avec délicatesse, et puis au fur et à mesure que le métro nous emmenait vers le chemin de l’école, j’accueillais sa langue avec gourmandise.

À la station d’après, une personne de notre classe est montée, nous a vu et s’est assise avec nous.
Ce n’était même pas quelqu’un qu’on appréciait.
Et je la maudissais.

Un mois plus tard, le dernier jour des examens, mon copain devait venir me chercher.
Il était en très en retard.
Alors je suis restée avec Renaud qui lui passait son dernier examen un peu plus tard.

S’il avait été tout seul dans la pièce où moment où je suis partie, je crois que j’aurai dit quelque chose, fait quelque chose, montré quelque chose.
Un geste, un baiser furtif, une caresse volée, un long monologue dit avec un simple regard…
Il n’était pas seul.
Je lui ai simplement fait la bise et je me suis retournée quand il n’était déjà plus dans mon champ de vision.

Après l’été, j’avais tout oublié.
Je me suis souvenu de l’effet que ce regard a eu sur moi seulement samedi dernier, quand il a passé la porte du bar et qu’après m’avoir vu, un sourire sincère s’est dessiné sur ses lèvres.



Publié dans Souvenirs

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S
Parce qu'un regards exprime tant de diversités et de dualités de sentiments...<br /> <br /> <br /> <br /> "Regards"<br /> Quand je la regarde<br /> d'un regard doux, émerveillé,<br /> devant le corps de cette femme,<br /> je suis tout près de me noyer.<br /> <br /> Quand je la caresse<br /> et que j'ai peur de la réveiller,<br /> j'éloigne mes tristesses,<br /> j'ai l'impression d'être aimé.<br /> <br /> Lorsqu'elle me met en garde,<br /> c'est pour encore mieux m'accrocher,<br /> je l'écoute d'un air affable<br /> comme un livre trop feuilleté.<br /> <br /> lorsque son sourire<br /> illumine d'un coup ma vie,<br /> je succombe sans coup férir,<br /> comme un esclave affranchi.<br /> <br /> Lorsqu'elle me regarde<br /> du regard doux, de sa beauté,<br /> devant autant de flamme,<br /> je suis chrétien sur le bucher.<br /> <br /> lorsqu'elle me caresse<br /> d'un toucher doux, attentionné,<br /> de toute ma sagesse<br /> je me livre sans résister.<br /> <br /> Quand je la met en garde<br /> qu'à trop vouloir jouer,<br /> les sentiments un jour se fanent<br /> sans avoir pu les déguster.<br /> <br /> Alors tendrement elle me regarde<br /> et dans ses yeux je vais me plonger,<br /> comme dans une mer calme,<br /> il est temps de passer à s'aimer.<br /> <br /> Sylvain Lambert<br /> <br /> <br /> http://sylvainlambert77.over-blog.com
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S
J'avais lu ton poème déjà sur ton blog et je l'avais beaucoup aimé...
E
Tu racontes ton histoire personnelle et pourtant, c'est une affaire universelle que celle du coeur!<br /> ça me rappelle mes premiers émois ...il y a 'un peu' longtemps déjà!<br /> Bon week-end à toi.
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S
Merci Edith...
S
magnifique de sincérité et de vérité, ces instants de vie me rappelle les articles sur les premières fois que j'ai publié sur mon blog, et j'aime la tendresse des mots emplyés, leur justesse, leur sensibilité...<br /> Bravo à toi<br /> a très bientôt<br /> <br /> http://sylvainlambert77.over-blog.com
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S
Merci beaucoup Sylvain !des commentaires comme ça m'encourage à continuer. J'avais lu tes articles sur les premières fois et je les avais beaucoup aimé !A bientôt :-)